Trois ans après Portapique, la Commission des pertes massives émet des recommandations pour prévenir la violence basée sur le genre

10 mai 2023

Le 30 mars 2023, la Commission des pertes massives a publié son rapport final (version traduite à venir) sur la tuerie de masse de Portapique, Nouvelle-Écosse, survenue en avril 2020.  

Aucun détail n’est négligé; le rapport sommaire fait plus de 300 pages. Le rapport, même sommaire, est difficile à lire. Pour bien répondre à cet évènement, il faut bien le comprendre, et la commission dresse la liste de tous les échecs et leçons tirées de l’évènement. 

Rappel des faits  

L’agresseur a tué 22 personnes et en a blessé 3 autres, devenant ainsi la pire fusillade de masse du Canada; il a fait plus de victimes que la tuerie de Polytechnique de 1989. L’attaque d’avril 2020 a commencé par une agression sur la conjointe de l’agresseur. 

Nous souhaitons également souligner la place accordée à la commémoration des victimes dans ce rapport. Elles étaient plus que des statistiques.  

Mandat de la commission 

Le mandat de la commission était large et englobait entre autres les armes à feu, le rôle des services de police et la communication avec le public. Nous résumons ici certains points saillants des constats et recommandations liés à la violence basée sur le genre.  

Notre travail a dévoilé que les antécédents de cette tuerie de masse étaient profondément enracinés dans l’historique de violence de l’agresseur. Cet historique reflète à son tour le contexte plus large de nos échecs collectifs et institutionnels à comprendre la violence et à y réagir. Ces échecs ne concernent pas seulement l’agresseur. 

Nous avons constaté qu’il existe un lien étroit entre la violence basée sur le genre, la violence entre partenaires intimes et la violence familiale et le phénomène plus rare de tuerie de masse. (traduction libre) 

Avant d’examiner les recommandations : quelques constats du rapport 

Compréhension de la violence basée sur le genre  

  • La violence est majoritairement perpétrée par des hommes, mais la plupart des hommes ne sont pas violents. Cela dit, les tueries de masse sont genrées : les hommes en sont les auteurs dans la presque totalité des cas. Dans la plupart des cas, les hommes et les garçons sont responsables des incidents de violence les plus graves en Amérique du Nord (violence envers des inconnus, des membres de famille et des partenaires intimes et tueries de masse).  
  • La marginalisation économique et la criminalisation des filles et des femmes augmentent le risque de violence à leur égard.  
  • La pandémie a exacerbé les taux de violence basée sur le genre à l’échelle mondiale. 
  • La violence basée sur le genre est une épidémie. 
  • La violence touche de façon disproportionnée les femmes et les filles, mais certains groupes en quête d’équité, dont les femmes et filles autochtones, noires et racialisées, les femmes et filles immigrantes, les personnes 2SLGBTQIA+, les personnes avec limitations et les femmes en milieu rural sont encore plus à risque de violence. 

Interventions policières  

  • Des mythes racistes et sexistes persistent et donnent lieu à des interventions inadéquates de la part de la police lorsqu’il est question d’incidents de violence basée sur le genre.  

Portrait de l’agresseur 

  • Sans surprise, le rapport souligne l’historique violent de l’agresseur, indispensable à notre compréhension des évènements. Plusieurs signalements à la police avaient été faits à son égard, qui avait mené à une seule accusation criminelle (agression sur un adolescent). La relation avec sa partenaire était également violente. 
  • Le comportement violent de l’agresseur a été facilité par son pouvoir et privilège comme homme blanc bien nanti. 
  • Il possédait au moins cinq armes à feu au moment de la tuerie, dont trois en provenance des États-Unis. 
  • À plusieurs reprises au cours des années avant la tuerie, la violence de l’agresseur et sa possession d’armes à feu obtenues illégalement ont été signalées à la police. En raison de nombreux problèmes structuraux et systémiques (p. ex. incompréhension de la violence basée sur le genre et inaction; préjugés implicites de la police; courte période de rétention des dossiers; manque de communication entre les agences), ces allégations graves n’ont pas mérité de réponse appropriée. 
  • Même si les comportements violents de l’agresseur étaient connus dans sa communauté, une peur de représailles, la difficulté d’accéder aux services de police et un manque de confiance en ceux-ci ont constitué des obstacles à la dénonciation.  

Secteur de la violence 

  • Le financement du secteur de violence sexiste est insuffisant depuis plusieurs années; par conséquent, la sécurité des femmes est compromise. 
    • Le financement par projet crée des écarts dans les services de prévention et de soutien. Le financement opérationnel adéquat et stable est indispensable.  
  • Les services en violence doivent être considérés comme des partenaires égaux dans la prévention de la violence. 

Le rôle du public  

  • Une meilleure reconnaissance du public des facteurs de risque, y compris des facteurs systémiques, contribuera à la prévention de la violence. 
  • Le contrôle coercitif est toujours mal compris par la société, y compris les corps de police; cette incompréhension a des répercussions sur les efforts de prévention et les interventions.  
    • Une approche à plusieurs facettes doit être adoptée. 

Déclarations à la police  

  • Les bas taux de signalement de violence basée sur le genre découlent de nombreux facteurs, comme les barrières systémiques enracinées dans le système de justice pénale (racisme, mythes et stéréotypes sexistes), l’interaction complexe entre les systèmes criminels, de droit de la famille et d’immigration, et le fait que ces systèmes ne tiennent pas suffisamment compte des réalités des survivantes. 
  • Les protocoles d’arrestation et de mise en accusation obligatoire échouent souvent dans la protection des femmes et causent même des effets néfastes involontaires. 

Armes à feu 

  • La possession d’armes à feu, les décès liés aux armes à feu et la violence liée aux armes à feu en général sont des phénomènes genrés.  

Autres constats  

  • Un changement culturel s’impose pour que la prévention de crimes et la sécurité de nos collectivités deviennent une responsabilité partagée et qu’on s’attaque aux préjugés systémiques favorisant les agresseurs privilégiés. 
  • Des préjugés sexistes font en sorte que le lien étroit entre la violence basée sur le genre et les tueries de masse est omis dans la recherche et les médias, ainsi que les mesures préventives. 
  • La GRC a traité la victime comme une suspecte et la perception du public était aussi accusatoire à son égard, reflétant le mythe qu’une femme est responsable des gestes de son partenaire.  

Aperçu des recommandations  

Le rôle des hommes  

  • Les hommes doivent prendre des mesures individuelles et concertées pour contribuer à l’élimination de l’épidémie.  
  • Le gouvernement fédéral doit mettre en œuvre une campagne d’éducation et de sensibilisation nationale pour favoriser les masculinités saines.  

Les armes à feu 

  • Le gouvernement fédéral doit amender le Code criminel pour interdire les armes à feu semi-automatiques.  
  • La Loi sur les armes à feu doit être amendée pour faire en sorte qu’une personne détentrice d’un permis puisse seulement acheter des munitions pour une arme qu’elle possède légalement. 
  • Le gouvernement fédéral doit prendre des mesures pour réduire rapidement le nombre d’armes à feu semi-automatiques interdites en circulation au Canada. 
  • Le gouvernement fédéral doit modifier la Loi sur les armes à feu pour retirer automatiquement les permis d’armes à feu de personnes accusées de violence conjugale ou de crimes haineux. 

La police  

  • Les services de police et la Couronne doivent prendre des mesures concrètes pour assurer un traitement équitable des survivantes et cesser de décourager par inadvertance les survivantes de signaler la violence subie. 
  • La police et la Couronne doivent examiner attentivement le contexte de violence entre partenaires intimes, en particulier de contrôle coercitif, lorsque des accusations criminelles sont envisagées contre des survivantes et faire appel à des expertes en la matière pour bien comprendre les dynamiques de violence. 

Compréhension de la violence 

  • Chaque palier gouvernemental doit déclarer que la violence basée sur le genre, la violence entre partenaires intimes et la violence familiale constituent une épidémie qui mérite une réaction sociétale. 
  • La collecte de données doit se faire sur l’agresseur, y compris : son historique de violence; l’historique d’accusations à son égard; son accès à des armes à feu; son historique de violence envers des animaux (ou des menaces à cet effet); si l’agresseur avait un historique d’extrémisme ou s’il suivait ces mouvements en ligne; et le lien, s’il existe, entre l’agresseur et les victimes. 
  • Les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent remplacer les politiques d’arrestation et de mise en accusation obligatoires en cas de violence conjugale par des cadres de prise de décision structurée par la police axés sur la prévention de violence. 

Le secteur de violence  

  • L’expertise et l’expérience des expertes dans le secteur, y compris des survivantes et des militantes, doivent être reconnues. 
  • Le financement des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour mettre fin à la violence basée sur le genre doit être proportionnel à l’ampleur du problème. La prévention de la violence et la sécurité des survivantes doivent être prioritaires. 
  • Les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral doivent mettre sur pied un groupe consultatif qui met de l’avant l’expertise des expertes en violence pour examiner si et de quelles façons le droit pénal peut mieux s’attaquer aux comportements contrôlants au centre des dynamiques de violence. 
  • Le gouvernement fédéral doit lancer et soutenir un processus collaboratif réunissant le secteur de la violence sexiste, les décideurs et décideuses, le milieu juridique, les organismes de sécurité communautaire et d’application de la loi et d’autres parties intéressées afin d’élaborer un cadre national pour répondre à la violence, y compris un processus décisionnel structuré par la police qui met l’accent sur la prévention de la violence. 

Autonomisation des femmes 

  • Les gouvernements doivent prendre des mesures pour assurer la sécurité des femmes, y compris en assurant leur indépendance économique. 

Une approche multisectorielle 

  • Une approche unique (« one size fits all ») est inadéquate; des solutions adaptées s’imposent, y compris pour répondre aux perspectives, expériences et besoins des communautés en quête d’équité. 
  • Au lieu de financer le milieu carcéral, les gouvernements doivent au lieu financer de façon prioritaire des efforts de prévention, y compris ceux visant à éliminer la pauvreté des femmes et des filles et ceux promouvant une masculinité positive. 
  • Une approche systémique doit être adoptée par les gouvernements, les fournisseurs de services, les organismes communautaires et les autres organismes connexes au secteur de violence pour mieux comprendre les obstacles pour les survivantes, et les éliminer. 

Reddition de comptes  

  • Le gouvernement fédéral doit prévoir aux termes d’une loi un poste de commissaire indépendante et impartiale, dotée de financement stable et suffisant et d’une vraie influence, y compris la responsabilité de produire un rapport annuel pour le parlement. 

Nous espérons que ce rapport ne restera pas sur les tablettes, comme celui sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées. Nous encourageons les rapports et les analyses de ce genre d’incident, mais sans action concrète de la part de nos institutions et décideurs et décideuses politiques, la bonne volonté ne permet pas d’améliorer la sécurité des filles, des femmes et des personnes de la diversité du genre.  

Pour consulter les rapports de la Commission sur les pertes massives : https://commissiondespertesmassives.ca/rapport-final/  

Ne les oublions pas.  

Tom Bagley  

Kristen Beaton 

Greg Blair  

Jamie Blair  

Joy Bond 

Peter Bond  

Lillian Campbell  

Corrie Ellison  

Gina Goulet  

Dawn Gulenchyn  

Frank Gulenchyn  

Alanna Jenkins  

Sean McLeod  

Lisa McCully  

Heather O’Brien  

Jolene Oliver 

Aaron Tuck 

Emily Tuck  

Constable Heidi Stevenson 

E. Joanne Thomas 

John Zahl  

Joey Webber 

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