Nos recommandations dans le cadre des consultations pré-budgétaires
20 April 2018
À l’honorable Charles Sousa, ministre des finances
Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) est un regroupement provincial féministe et francophone d’organismes qui œuvrent ou qui sont engagés dans l’élimination de la violence faite aux femmes. Les organismes membres d’AOcVF sont des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), des maisons d’hébergement pour femmes aux prises avec la violence et des programmes en matière de violence faite aux femmes qui offrent des services en français à travers l’Ontario.
AOcVF et ses membres ont plusieurs recommandations à présenter dans le cadre des consultations pré-budgétaires. Ces recommandations sont liées au droit des femmes de vivre sans violence et à une réelle mise en œuvre du droit des femmes francophones à avoir accès à des services en français (SEF) de qualité pendant toutes leurs démarches pour quitter une relation violente ou après une agression à caractère sexuel.
Ces recommandations s’inscrivent dans la lignée de tous les efforts menés par votre gouvernement depuis plusieurs années pour mettre fin à la violence tant conjugale que sexuelle. Elles devraient ainsi faire écho au Plan d’action contre la violence fondée sur le genre que votre gouvernement va annoncer prochainement.
Nos recommandations répondent également aux besoins exprimés par des survivantes d’agression à caractère sexuel francophones consultées en 2017 par le Ministère de la Condition féminine de l’Ontario. Les résultats de cette consultation montrent qu’il est important pour les survivantes francophones de recevoir du soutien dans leur langue par des organismes spécialisés en violence à caractère sexuel. Ces résultats viennent confirmer des données déjà recueillies en 2015 par le Comité spécial de la violence et du harcèlement à caractère sexuel. Dans son rapport, le comité avait souligné que « plusieurs témoins ont demandé à la province de financer plus les centres francophones d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, puisque bon nombre des fournisseurs existants qui sont censés être bilingues maîtrisent mal le français. » Les deux consultations confirment donc la pertinence et la nécessité d’avoir des SEF spécialisés de qualité en violence faite aux femmes.
Sur les bases de ces deux consultations et dans le but de respecter la Loi sur les services en français, AOcVF et ses membres souhaitent que le gouvernement mette en œuvre la recommandation du Comité spécial de la violence et du harcèlement à caractère sexuel qui suit, tout en l’élargissant à l’ensemble du secteur de la violence faite aux femmes : « que le gouvernement de l’Ontario songe à injecter plus de fonds dans les centres francophones d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et à investir dans la création de nouveaux centres. »
Pour mettre en œuvre cette recommandation générale, AOcVF et ses membres proposent différentes recommandations qui visent l’augmentation du financement des SEF existants en matière de violence faite aux femmes et le financement de nouveaux SEF.
- Financement pour consolider les services en français en matière de violence faite aux femmes
Pour consolider et pérenniser les SEF, il est important que le gouvernement augmente le financement des centres francophones travaillant dans le domaine de la violence faite aux femmes, que ce soit les CALACS, les maisons d’hébergement ou les programmes en violence faite aux femmes. La consolidation passe par une amélioration des conditions d’emploi et par un accroissement des services offerts.
a) Amélioration des conditions d’emploi
L’augmentation du financement devrait permettre aux organismes d’améliorer les conditions d’emploi de leurs employées et ainsi améliorer l’équité salariale dans le domaine de la violence faite aux femmes.
Une analyse menée par Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) en 2008[1] a montré que la rémunération des employées des organismes du domaine de la violence faite aux femmes est significativement plus faible que celle versée à des employés d’organismes sans but lucratif des secteurs sociaux et communautaires détenant un emploi de valeur comparable et possédant des compétences équivalentes. En plus de cette iniquité salariale externe, les employées vivent une iniquité salariale interne, c’est-à-dire, qu’au sein même du secteur de la violence faite aux femmes, il existe des disparités au niveau de la rémunération, alors même que les emplois et compétences sont comparables. Cette iniquité est due en particulier au fait que différents ministères sont impliqués dans le financement du domaine de la violence faite aux femmes et que les financements octroyés ne sont pas similaires.
Le gouvernement de l’Ontario devrait se pencher sur cette question de l’iniquité salariale externe et interne et augmenter les budgets des organismes pour y remédier.
Une augmentation du budget des organismes pour les ressources humaines est d’autant plus essentielle suite aux changements de la Loi sur les normes d’emploi (LNE). Si les nouvelles règlementations vont améliorer les conditions de travail pour les employés et employées, notamment les plus vulnérables, elles vont aussi peser sur les organismes en violence faite aux femmes. Par exemple, les nouvelles règles pour les employées sur appel vont avoir une incidence importante sur les maisons d’hébergement. L’augmentation du salaire minimum va également avoir une conséquence sur l’attractivité du secteur : même si la majorité des organismes du secteur de la violence faite aux femmes proposent des salaires au-dessus du salaire minimum, le manque d’avantages sociaux et la difficulté du travail rendent les conditions d’emploi peu attractives. Les organismes sont confrontés à un roulement de personnel important, ce qui nuit en fin de compte aux services offerts aux femmes.
L’augmentation du budget des organismes leur permettrait d’améliorer les conditions d’emploi et ainsi permettrait d’améliorer les services rendus.
b) Accroissement de l’offre de services
L’augmentation de financement devrait également permettre un accroissement de l’offre de services pour les femmes francophones aux prises avec la violence et leurs enfants. Il est en particulier important d’investir :
- Dans les services d’intervention directe qui permettent le suivi individuel des femmes ou l’organisation de groupes de soutien pour répondre aux demandes croissantes de services.
- Dans le programme d’appui transitoire et de soutien au logement pour permettre aux femmes qui ont quitté une relation violente d’être soutenues dans leurs différentes démarches et de naviguer dans les différents systèmes aussi complexes les uns les autres. Ce programme flexible permet de s’adapter aux besoins de chaque femme. Il est particulièrement important pour les femmes francophones parce qu’elles peuvent avoir des difficultés à avoir des SEF lors de leurs démarches.
- Dans le programme pour les enfants exposés à la violence conjugale pour permettre à ces enfants de recevoir du soutien, notamment dans les maisons d’hébergement.
- Dans des activités de prévention et de sensibilisation à la violence faite aux femmes, qui sont fondamentales pour conscientiser le public à la problématique et inciter les personnes de l’entourage à intervenir.
- Financement pour développer les services en français en matière de violence faite aux femmes
En plus du besoin de consolider les services existants, il y a un besoin de financer la création de nouveaux SEF pour les femmes aux prises avec la violence. Il est important de continuer à financer le développement de SEF autonomes dans plusieurs régions de la province pour respecter le droit des femmes francophones d’avoir une offre de SEF active, continue et de qualité et pour renforcer les SEF déjà existants. Les nouveaux services viendraient compléter les services existants pour créer un continuum de services ou combler un manque de SEF en matière de violence faite aux femmes dans une région.
Le développement de SEF est lié au concept de « complétude institutionnelle » qui part du principe que plus un groupe social possède un réseau complet d’institutions, plus il est en mesure de combler les besoins de ses membres. Dans le cas des SEF en matière de violence faite aux femmes, plus il y aura d’organismes offrant des SEF de façon active, continue et de qualité, plus on répondra aux besoins des femmes francophones aux prises avec la violence et de la communauté francophone en général.
Différents services sont nécessaires dans la province, en particulier :
- De nouvelles maisons d’hébergement francophones, notamment dans la région du Sud-Ouest et une augmentation du nombre de lits dans des maisons existantes, en particulier à Toronto.
- Des maisons de deuxième étape francophones dans les régions où il y a des maisons d’hébergement pour compléter les services et éviter que les femmes restent trop longtemps en maison d’hébergement. Il y a par exemple de forts besoins à Ottawa et Toronto.
- Un programme en violence conjugale dans le Nord-Ouest de l’Ontario pour venir compléter le service en agression à caractère sexuel déjà existant.
Nous pensons que la consolidation des SEF existants en matière de violence faite aux femmes et la création de nouveaux services permettraient de lutter contre ce type de violence dans la communauté francophone de la province et d’améliorer l’accueil et le soutien des nombreuses survivantes.
En espérant que nos recommandations soient entendues par le gouvernement, je vous prie d’agréer, monsieur le ministre, mes sentiments distingués.
Maïra Martin
Directrice générale d’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes
Cc : L’honorable Helena Jaczek, ministre des services sociaux et communautaires
L’honorable Yasir Naqvi, procureur général
L’honorable Harinder Malhi, ministre de la condition féminine
L’honorable Marie-France Lalonde, ministre des affaires francophones
[1] La cause de suffit plus! La rémunération chez certains organismes membres de l’AOcVF : une analyse comparative, Lalonde & Associés pour AOcVF, juin 2008.
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