Le gouvernement de l’Ontario nie l’épidémie de la violence basée sur le genre

5 juillet 2023

L’année dernière, l’enquête du coroner sur les meurtres de Nathalie Warmerdam, de Carol Culleton et d’Anastasia Kuzyk a fait part de 86 recommandations pour prévenir de telles violences. La première recommandation : « Déclarer officiellement que la violence conjugale est une épidémie. »[i] Ce n’est pas la première fois que cette recommandation se fait entendre. La Commission des pertes massives qui a examiné la tuerie de masse de Portapique recommandait également que : « Tous les ordres de gouvernement au Canada déclarent que la violence fondée sur le sexe, la violence entre partenaires intimes et la violence familiale est une épidémie qui nécessite une réponse pansociétale appropriée et durable. »[ii]

Fin juin 2023, le gouvernement provincial a rétorqué qu’il ne ferait pas de telle déclaration, car la violence conjugale n’est pas « contagieuse ». Le gouvernement a également refusé d’adopter les recommandations de l’enquête du coroner concernant la mise sur pied d’une commission indépendante sur la violence conjugale et de créer le rôle de porte-parole des survivantes pour défendre leurs intérêts au sein du système judiciaire.[iii]

Pourquoi cet acharnement à nier les faits? Depuis 1990, l’Ontario Association of Interval & Transition Houses a recelé 950 féminicides dans la province.[iv] Soulignons aussi qu’il s’agit seulement d’une estimation : vu qu’aucun mécanisme gouvernemental ne s’occupe d’une telle collecte de données, l’organisme doit se fier sur la couverture médiatique pour ce travail. Le chiffre réel est donc, de façon réaliste, encore plus élevé. (Le fait que le gouvernement ne s’en occupe pas lui-même signale une autre forme de déni de la crise que représente la violence sexiste.)

Bien sûr, il s’agit là que de la forme de violence basée sur le genre la plus évidente. Les taux d’agressions à caractère sexuel, de violence conjugale, de harcèlement sexuel, etc. sont moins souvent discutés, car ces formes de violence sont banalisées.

Nous trouvons impensable que le gouvernement provincial refuse d’accepter la réalité que la violence basée sur le genre constitue une épidémie, surtout quand de nombreuses municipalités ontariennes (dont Peel, Halton, Ottawa,Mississauga et Brampton) ont adopté ce type de motion. Des organismes ayant un mandat international, comme ONU Femmes et Affaires mondiales Canada ont qualifié la violence contre les femmes de « pandémie fantôme » et de « pandémie de l’ombre », respectivement. Cette décision banalise la violence sexiste et ses impacts sur la santé des femmes, de leurs enfants et des communautés qui subissent de l’oppression. Comment le gouvernement peut-il résoudre une crise qui, selon lui, n’existe même pas?

La violence n’est pas contagieuse de la même façon que la COVID-19. Évidemment. Les expertes en la matière n’ont jamais suggéré que nous nous dotions de masques et de vaccins pour la contrer. Par sa déclaration, le gouvernement fait preuve d’ignorance délibérée. Plusieurs recherches ont démontré un lien entre l’exposition à la violence comme enfant et l’adoption de comportements violents : « L’exposition à la violence au domicile est fortement associée à des comportements agressifs chez les enfants. Environ 32 % des enfants qui ont été exposés à de la violence avaient des comportements agressifs élevés, comparés à 16 % pour les enfants qui n’avaient pas eu de telle exposition. » (traduction libre)[v] Les enfants exposés à la violence entre partenaires intimes sont plus à risque de subir d’autres formes de violence, notamment physique et sexuelle.[vi] Ces enfants peuvent développer des troubles de santé mentale, dont des symptômes de stress post-traumatique; ils et elles ont 6 fois plus de chance de recevoir un tel diagnostic.[vii] Ces jeunes sont également plus à risque de développer des problèmes psychologiques, sociaux, émotionnels et comportementaux ou des comportements de dépendance de drogue ou d’éprouver des difficultés scolaires.[viii] Ces conséquences négatives peuvent se poursuivre à l’âge adulte et s’intégrer dans un cycle de violence intergénérationnel. Plus précisément, les enfants exposés à la violence conjugale sont plus susceptibles d’avoir recours à la violence envers leurs propres enfants et d’avoir des relations violentes.[ix] Ce n’est qu’un aperçu des possibles conséquences. Oui, la violence basée sur le genre est une épidémie.

Action ontarienne écrira prochainement au gouvernement provincial pour lui faire part de nos inquiétudes. Nous n’avons pas envie de nous retrouver à analyser encore d’autres études et d’autres enquêtes visant à comprendre des actes de violence qui bouleversent et perturbent toute une communauté. Nous voulons des actions concrètes qui reconnaissent l’ampleur actuelle et immédiate de la violence et des mesures immédiates pour la prévenir. Nous méritons mieux.

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[i] https://www.ontario.ca/fr/page/verdicts-et-recommandations-formules-la-suite-des-enquetes-du-coroner-de-2022#section-4

[ii] https://commissiondespertesmassives.ca/files/documents/Redresser-la-barre-ensemble-Re%CC%81sume%CC%81-et-recommandations.pdf

[iii] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1992078/violence-partenaire-feminicide-ontario

[iv] https://www.oaith.ca/assets/library/MoreThanANumber.pdf

[v]  https://www150.statcan.gc.ca/n1/en/pub/85-561-m/002/4193725-eng.pdf?st=Fn1t-kvi : Exposure to violence in the home has a strong association with aggressive behaviour among children. Approximately 32% of children who witnessed violence at home are reported to have high aggressive behaviour compared with 16% of other children in the sample.

[vi] https://www.justice.gc.ca/eng/rp-pr/cj-jp/fv-vf/rr12_12/rr12_12.pdf

[vii] https://www.vawlearningnetwork.ca/our-work/issuebased_newsletters/issue-3/index.html

[viii] https://www.justice.gc.ca/eng/rp-pr/cj-jp/fv-vf/rr12_12/rr12_12.pdf

[ix] Idem.

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