Transcription Balado Elles parlent – Épisode 1.05

Saison 1

Saison 1 — Épisode 1.05 : Elles parlent… de violence entre femmes 

Karen N. Uwase : Bonjour Julie. 

Julie Lassonde : Bonjour Karen.

Karen N. Uwase : Alors Julie est une avocate, médiatrice et chercheure qui travaille dans le domaine de l’élimination de la violence faite aux femmes depuis un peu plus de 15 ans. Elle offre aussi des conseils sommaires en droit de la famille à travers le Centre juridique pour femmes de l’Ontario. Aujourd’hui, elle parle de la violence conjugale au-delà de l’hétéronormativité. Pourrais-tu nous définir ce qu’est l’hétéronormativité Julie? 

Julie Lassonde : Oui. Dans le fond, en termes simples, on veut dire que c’est comme si ce qu’on considérait comme étant la normale ce qui est la norme, c’est tout ce qui est hétérosexualité, alors que l’exception à la norme, ce serait tout le reste : homo, bisexualité, queer, etc. Et donc, c’est comme de créer la norme avec l’hétérosexualité à l’exclusion de toutes les autres orientations sexuelles. Mais si vous voulez une définition un petit peu plus formelle, que j’ai trouvée quand même assez bonne, ça provient de l’Office québécois de la langue française. Et je vais vous la lire quand même, parce que je la trouve intéressante. C’est un système de pensée qui est basé sur la présomption que l’hétérosexualité est la norme, comme je disais, et qui privilégie les personnes hétérosexuelles au détriment des personnes homosexuelles. Ou on pourrait dire, bisexuelles, queers, etc. L’hétéronormativité peut se traduire par le déni de l’existence des homosexuels ou par un point de vue favorable envers les hétérosexuels. C’est un phénomène social qui contribue à l’invisibilisation des homosexuels et de leur réalité, que ce soit fait de manière consciente ou non. Par exemple, une société hétéronormative établirait comme norme que toutes les familles sont constituées de parents hétérosexuels, donc systématiquement constituées d’un homme et d’une femme qui ne sont pas homosexuels. Donc, c’est une définition. On pourrait probablement en avoir d’autres, mais je trouvais que ça illustrait quand même plusieurs idées importantes.  

Karen N. Uwase : Je pense que la définition est non seulement claire et… sera comprise par et nos auditeurs et nos auditrices. Et en ce qui concerne le domaine de l’élimination de la violence faite aux femmes, quelle forme prend l’hétéronormativité? 

Julie Lassonde : Ça peut prendre la forme de penser que toute la violence conjugale, par exemple, arrive dans les couples constitués d’un homme et d’une femme, et que cette femme et cet homme sont chacun hétérosexuel. Alors, ce serait de prendre pour acquis que c’est ça le contexte de la violence conjugale, exclusivement. Alors que ce n’est pas la réalité. 

Karen N. Uwase : Notamment, toujours dans le domaine de l’élimination de la violence faite aux femmes. Est-ce que tu penses qu’à l’heure actuelle dans notre société d’aujourd’hui, c’est hétéronormatif comme approche? Est-ce que l’approche est principalement hétéronormative? 

Julie Lassonde : Oui, je pense qu’il faut se l’admettre que c’est encore comme ça, un peu comme dans la société en général. Donc, c’est important maintenant de commencer à penser à comment on élimine la violence faite aux femmes, mais dans un contexte plus large. Donc un contexte qui inclurait les relations intimes entre toutes personnes, les personnes de tous genres. 

Karen N. Uwase : Intéressant. Je pense que toute la raison de ce balado aujourd’hui, c’est justement comprendre ce phénomène-là lorsqu’il s’agit de couples non hétérosexuels et justement briser le tabou qui est autour de ce système-là. Et notamment, on veut parler de comment adapter nos services si une femme agresse sa conjointe ou est agressée par sa conjointe ou ex-conjointe. Est-ce que la violence conjugale peut se produire dans une relation intime entre deux femmes? On peut commencer par là. 

Julie Lassonde : Oui. Et puis j’aimerais préciser ce qu’on veut dire par femme, en fait, parce que c’est quand même une question assez importante. Je veux que ce soit clair qu’on inclut les femmes cis, les femmes trans, et puis aussi toutes les personnes issues de la diversité de genre. Donc, on utilise le terme femme déjà largement, mais pour répondre à la question, oui, effectivement, il peut y avoir, malheureusement, de la violence conjugale dans une relation intime entre deux femmes. Ça peut se produire dans toutes les relations intimes. Donc… Mais c’est important de comprendre que c’est vrai ça demeure vrai qu’il y a une très grande proportion de victimes ou de survivantes de violence conjugale qui sont des femmes. Mais la violence n’est pas toujours perpétuée par un homme. Ça peut arriver que la violence soit perpétuée par une femme. Des fois, ça peut aider de donner certaines statistiques, même si… Dans ce cas-ci, je voulais donner une statistique de Statistique Canada entre 2009 et 2017, qui sont les cas déclarés à la police. On sait que tous les cas ne sont pas déclarés à la police. Mais juste pour avoir une idée. Ces statistiques, ça dit que…. Dans les relations entre partenaires de même sexe, 45 % des victimes étaient des femmes. Et ça, ça représente presque 10000 personnes. 10000 femmes.  

Karen N. Uwase : Ah, d’accord. 

JL : Dans les relations entre partenaires de sexes différents, c’était 82 % des victimes qui étaient des femmes. Et ça, c’est plus de 500000 femmes. Alors, je veux dire, ça vient démontrer à la fois que, effectivement, malheureusement, beaucoup de femmes subissent de la violence conjugale, mais ça vient un peu changer nos idées sur l’idée que ça se produirait vraiment exclusivement dans les relations hétérosexuelles ou hétéronormatives. Alors, on a déjà quelques statistiques qui nous donnent des indices par rapport à ça. 

Karen N. Uwase : J’imagine que t’as déjà commencé à y répondre, mais… d’après toi, quelle est l’importance d’en parler? 

Julie Lassonde : Je pense que c’est parce que les femmes lesbiennes, bis, trans, queers, qui vivent de la violence conjugale peuvent se sentir encore plus isolées que d’autres femmes. Elles peuvent sentir, par exemple, que les services en violence faite aux femmes sont faits pour les femmes hétérosexuelles. Elles peuvent même subir de l’homo-bi-transphobie quand elles vont chercher des services. Alors, c’est pas intéressant. Et donc, à cause de tout ça, elles peuvent penser qu’elles ne vont pas être crues ou prises au sérieux comme femme, qui est dans une relation avec une autre femme, mais qui, malheureusement, vit de la violence conjugale. Alors, il faut briser ce silence. Donc, c’est pour ça que c’est vraiment important pour aller soutenir ces femmes-là. 

Karen N. Uwase : Julie, d’après toi, pourquoi les services pour les femmes qui ont subi de la violence, notamment de la violence conjugale, réagissent mal ou sont parfois indifférents à l’idée que l’agresseur c’est une femme? 

Julie Lassonde : Je pense que c’est parce que souvent, bien sûr, dans un grand nombre de cas, les agresseurs sont des hommes. Et les services féministes se sentent du côté des femmes. Puis historiquement, ça a toujours été ça. Et puis donc, là, je pense que c’est un peu déstabilisant pour les services lorsque… peut-être qu’il y a une femme qui est dans le rôle de l’agresseur, et puis, là, on se retrouve avec des femmes des deux côtés. Et puis là, ça peut être un peu, disons…  

Karen N. Uwase : Déstabilisant? 

Julie Lassonde : Oui, ça peut être… Les intervenantes ne sont peut-être pas complètement familières avec ça. Et puis là, on sait plus de quel côté on devrait être. Ça crée peut-être un peu de confusion, simplement, peut-être, par… manque d’éducation sur cette question. 

Karen N. Uwase : C’est un bon point. D’après toi, est-ce que ce serait… d’être contre les femmes si on décide de protéger une femme contre une autre? 

Julie Lassonde : Pas du tout. Je pense que c’est vraiment de se positionner contre la violence, ce qui est à la base du travail de la violence faite aux femmes. 

Karen N. Uwase : Absolument. Alors pourquoi, d’après toi, il y a certaines personnes qui résistent à l’idée qu’une femme puisse commettre de la violence conjugale? 

Julie Lassonde : Je pense que c’est qu’on continue de sentir qu’on ne prend peut-être pas assez au sérieux les femmes comme victimes ou survivantes de violence conjugale. Et donc, peut-être qu’il y a un genre de peur que si l’on se met à nommer le fait qu’une femme puisse être agresseuse dans un scénario, que c’est comme si on allait rendre invisibles les femmes qui sont victimes ou survivantes. Je peux te donner un exemple. À un moment donné, j’animais une discussion. Et puis là, on se met à parler de violence conjugale. Dès que j’ai dit le mot «violence conjugale», il y a un homme qui est intervenu, et qui a dit : «Moi je connais des femmes qui agressent leur conjoint.» OK. Plutôt que de dire : «Ah oui, je reconnais que c’est un phénomène qui est vécu et qui est grave. C’est malheureusement vécu par beaucoup de femmes qui sont victimes de ça.» Alors déjà, cette réaction-là. Ensuite, je me souviens, tout de suite après, des femmes et des hommes se mettent à parler : «Ah oui, je me souviens, telle femme a giflé son conjoint.» Et là, tout le monde se met à rire… Et là, moi, j’ai dû nous ramener à la base et j’ai dit : aucune forme de violence n’est acceptable envers quiconque. Parce qu’il y avait une espèce de forme de banalisation de la violence envers les femmes, en ne la nommant pas, et une banalisation de la violence peut-être faite par des femmes dans certains contextes en disant que une gifle, c’est rien. Mais j’ai rappelé aux gens que ce sont des voies de fait dans le Code criminel. Alors, je pense que quand on est témoin de peut-être un manque de sérieux accordé à la violence vécue par beaucoup de femmes, on peut être réticente à se dire : ah, oui, il y a aussi des femmes qui peuvent avoir un comportement agressif. C’est peut-être un élément de réponse, mais… 

Karen N. Uwase : Peut-être. Et justement, comment penses-tu qu’on peut changer ça? Cette idée faite?

Julie Lassonde : Oui. Je pense qu’on peut accepter que les deux phénomènes existent. Je pense qu’on peut reconnaître qu’il y a une très grande proportion de violence conjugale vécue par les femmes, qui est perpétrée par des hommes, et on peut également accepter qu’en même temps, en parallèle, oui, ça arrive que dans un couple de deux femmes, l’une des deux femmes peut avoir des comportements agressifs envers l’autre femme. Et que ce n’est pas parce qu’on nomme les deux phénomènes que tout d’un coup, l’autre n’existe pas. Donc, c’est comme un genre d’acceptation de nommer plus qu’un problème. Et puis, j’irais plus loin. Je te dirais que si on peut comparer à d’autres sujets. Si on se met à parler de racisme, ça ne veut pas dire qu’on est en train de dire que le sexisme n’existe plus. Alors, on peut nommer plus d’un phénomène et être à l’aise avec ça, sans minimiser ni l’un ni l’autre, et en gardant les proportions telles qu’elles sont dans la réalité. Donc, c’est comme de s’ancrer dans les valeurs de la paix, de l’antiviolence. Et puis là, bien sûr, quand on parle… au début on parlait de l’hétéronormativité, il y a toute une éducation à faire. Donc, faire plus d’éducation pour lutter contre l’homo-bi-transphobie. Plus d’éducation sur toutes les questions 2ELGBTQIAA+. Ça va certainement faire en sorte qu’on puisse se sortir un peu, si on veut, de seulement les types de phénomènes de violence conjugale avec lesquels on est les plus familiers. 

Karen N. Uwase : C’est un point important. Si tu permets, on va entrer un peu plus en détail. D’après toi, est-ce que les femmes lesbiennes, bisexuelles et hétérosexuelles, subissent autant de violence les unes que les autres? 

Julie Lassonde : J’ai fait un peu de recherche et puis je regardais, par exemple, des statistiques du National LGBTQ Task Force de 2010 qui est basé à Washington D.C. Et puis, c’était intéressant de voir que les femmes bisexuelles, selon cette recherche, étaient plus à risque de violence dans les relations intimes. Et si on comparait avec les femmes lesbiennes et hétéros les statistiques que cette recherche-là nous démontre, c’est : 61 % des femmes bisexuelles auraient vécu de la violence conjugale dans les relations intimes au cours de leur vie, comparé à 44 % des femmes lesbiennes et 35 % des femmes hétérosexuelles. Donc je pense que c’est un domaine où on doit continuer à faire de la recherche et tout ça, mais ça vient un peu changer nos idées, moi je trouve. 

Karen N. Uwase : Totalement. Oui. On part de deux tiers à presque un tiers dans les statistiques. Mais en ce qui concerne spécifiquement les femmes lesbiennes, y aurait-il plus de détails par rapport à la violence qu’elles vivent? 

Julie Lassonde : Oui. Puis encore là, je vais tirer ce que je vous dis d’une étude. Ce serait dans ce cas-ci, du National Violence Against Women Prevention Research Center. Ça, c’est aux États-Unis encore une fois, mais j’ai trouvé ça très utile. Donc dans une étude on dit que 17 % à 45 % des lesbiennes ont dit avoir subi au moins un acte de violence physique de leur partenaire intime. Et des exemples, il y avait toutes sortes de trucs. Mais, par exemple, les interruptions des habitudes de sommeil, c’était une forme de violence physique. Sinon, des trucs comme pousser, conduire de manière dangereuse, gifler, kicker, frapper, mordre, en tout cas… Mais elle disait aussi que les femmes lesbiennes ont rapporté avoir vécu de la violence sexuelle et psychologique. Une chose qui est très importante à reconnaître. Parce que là encore on veut sortir des clichés. C’est que les femmes «butch» ou plus masculines sont tout autant victimes ou survivantes de violence conjugale que les autres femmes lesbiennes. Contrairement aux stéréotypes qui pourraient nous dire : c’est la femme «butch» ou masculine qui agresse l’autre. Mais il faut faire attention à ne pas appliquer des préjugés, qui sont hétérosexuels aux relations lesbiennes. Et donc, ça, c’est très important, surtout quand on se dit : on veut offrir des services aux femmes lesbiennes. Donc la femme «butch» ou plus masculine peut-être qu’elle a besoin de nos services. 

Karen N. Uwase : Oui, à la fin de la journée, c’est une femme aussi. Mais quand on apprend sur la violence faite aux femmes en général, dans une société purement hétéronormative, on comprend que c’est lié, généralement, à la domination masculine envers les femmes. Comment est-ce que ça peut se produire quand il s’agit de deux femmes? 

Julie Lassonde : C’est vrai que les dynamiques de pouvoir homme-femme, c’est un élément important à comprendre dans la violence conjugale. Donc, ne va pas nier ça. Encore une fois, c’est l’idée de nommer plus qu’une chose. Mais il n’y a pas que ces dynamiques de pouvoir liées au genre dans les relations. Même dans toutes les relations intimes, quoi. Pas simplement les relations entre femmes. Donc, il peut y avoir des dynamiques de pouvoir liées au racisme, au capacitisme, au classisme, bon…  

Karen N. Uwase : La liste est longue. 

Julie Lassonde : Oui, c’est ça, et puis ça s’applique autant… En fait, dans toutes les formes de relations intimes de personnes de sexes, genres différents, d’orientations sexuelles différentes. Et, donc, ce que je conclue c’est que… ce qui est bien dans sortir de l’hétéronormativité, c’est qu’on vient enrichir nos connaissances de la violence conjugale. 

Karen N. Uwase : Julie, tu viens de nous parler des dynamiques de pouvoir qui peuvent exister dans la relation intime entre femmes. Est-ce qu’il y a d’autres situations qui puissent venir sensibiliser cette relation intime, comme la lesbophobie, la biphobie, ou encore la transphobie? 

Julie Lassonde : Oui, ces trois phénomènes peuvent se retrouver même dans les relations entre femmes. Donc, la lesbophobie, biphobie, transphobie, tout ça là… c’est pas exclu que ça se produise dans les couples de femmes. 

Karen N. Uwase : C’est existant et, notamment, lorsqu’il s’agit précisément de la lesbophobie. Comment ça se manifesterait? 

Julie Lassonde : Ça peut être d’utiliser des préjugés, qui existent envers les lesbiennes pour isoler la victime ou la contrôler. Ça peut être d’utiliser le fait que peut-être les relations lesbiennes sont un petit peu moins visibles que les autres pour tout d’un coup décider qu’on crée ses propres règles dans la relation, et on les impose. Donc, on échappe un petit peu, si je peux dire, à un genre de surveillance un peu naturelle qui peut se passer quand des relations sont plus visibles, et puis là ça crée une vulnérabilité. On peut aussi menacer de divulguer l’orientation sexuelle de sa partenaire dans des contextes où elle n’est pas à l’aise de le faire. Et puis aussi… Par exemple, une personne lesbienne pourrait décider que… elle a besoin du soutien de sa communauté, ou un organisme en particulier. Puis là, ce serait d’essayer de l’éloigner de cet organisme, de l’empêcher d’avoir son soutien dans la communauté à laquelle elle appartient. Intéressant. Tout ça, c’est de la lesbophobie.  

Karen N. Uwase : Et lorsqu’on parle de biphobie, est-ce que ça se manifeste de la même manière? 

Julie Lassonde : Il y a des particularités comme, par exemple, avec la biphobie, souvent, c’est de dire des choses comme : la bisexualité n’est pas vraiment une orientation sexuelle légitime. C’est juste une personne qui est en état de pas être capable de choisir entre être lesbienne ou hétéro. Alors ça, c’est une forme de biphobie qui est très fréquente. On peut aussi… Une partenaire femme pourrait trouver que… ou avoir peur que sa partenaire, disons, la trompe ou soit infidèle à cause de sa bisexualité. Donc présume, et dise des choses comme ça. Ça, c’est de la biphobie, encore. Et puis là… Pour ce qui est de la bi et de la transphobie, c’est un peu comme la lesbophobie. Les phénomènes où c’est de menacer de divulguer l’orientation sexuelle. Ça, ça peut se produire… Soit l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Mais donc ça peut être de menacer de divulguer ça, alors que la personne n’est pas à l’aise de le faire. Ou bien de contrôler ses liens avec des communautés de soutien. Donc ça, ça s’applique vraiment aux trois, je dirais, trois formes de phobie.  

Karen N. Uwase : D’accord. Et on a parlé de lesbophobie, de biphobie, mais comment ça se manifeste lorsqu’il s’agit des femmes qui vivent de la transphobie faite de la part de leur partenaire? C’est presque inenvisageable. 

Julie Lassonde : Oui, c’est ça, il faut en parler, vraiment. Parce que on pourrait imaginer une femme qui ne respecte pas, par exemple, les pronoms de sa conjointe ou de sa partenaire. Ou son nom carrément. Par exemple, utilise son dead name, le nom qu’elle n’utilise plus. Et pourrait dire que iel ou elle n’est pas vraiment une vraie femme, et des choses comme ça. Donc, ça vient vraiment déstabiliser l’identité. Dans la transphobie, on voit aussi des choses comme… refuser à sa partenaire ou ne pas l’encourager à obtenir des soins affirmatifs du genre. Ça peut être aussi un peu le contraire. La pression, mettre de la pression d’effectuer une transition médicale. Donc, il y a beaucoup de points sensibles et qui peuvent être manipulés, et qui peuvent être des formes de violence. Donc…  

Karen N. Uwase : Transphobe. 

Julie Lassonde : Oui. Et encore une fois, il faut vraiment que je remercie le Centre de solidarité lesbienne qui est vraiment un des organismes qui a examiné ces questions à fond.  

Karen N. Uwase : C’est très intéressant. J’imagine que la plupart de nos auditeurs et auditrices ont quand même un peu remarqué le point commun de beaucoup de manipulations lorsqu’il s’agit de biphobie, lesbophobie ou encore transphobie. D’après toi, est-ce qu’on retrouve aussi ces différentes phobies dans les services aux femmes qui ont subi de la violence? 

Julie Lassonde : Oui, je pense que c’est certain que ça existe encore. On a beaucoup, beaucoup d’éducation à faire sur ces phénomènes-là, sur les questions LGBTQ IAA+2E, etc. Mais c’est de se ramener à cette idée dont je parlais au départ, que les survivantes de violence qui ont une partenaire femme, les relations entre femmes, elles peuvent vraiment se sentir plus isolées que les autres à cause de ce manque d’éducation, à ce manque de savoir-faire, à savoir comment leur offrir des services appropriés. Vraiment de se débarrasser de l’homo-bi-transphobie, c’est la seule façon de créer un espace sécuritaire pour les femmes qui ont vécu de la violence dans une relation entre femmes. 

Karen N. Uwase : Ce sont plusieurs bons points, Julie. Aurais-tu d’autres exemples de violence ou plutôt de comment la violence conjugale peut prendre forme lorsqu’il s’agit de relations intimes entre femmes? 

Julie Lassonde : Il y a des choses qui peuvent être les mêmes que dans des relations entre personnes hétérosexuelles. Si je peux donner quelques exemples. Une femme pourrait dire à sa partenaire : on est en couple, alors tu devrais me donner accès à tes comptes de médias sociaux. Ou même à tes comptes de banque. On partage tout. Donc, ça peut aller loin ces choses-là. Ou des fois, ça peut être une forme de violence psychologique en disant : je ne peux pas vivre sans toi. Et puis là, ça met toute une pression émotionnelle. Ou bien, c’est de blâmer l’autre pour son propre comportement. Si elle me comprenait, je me fâcherais pas comme ça. Donc c’est de sa faute si je me fâche. Alors, ne pas prendre responsabilité pour ses propres comportements. Ou bien de dire : «Là, c’était pas mon intention. C’est elle qui a mal pris ça, alors… C’est pas moi qui vais aller m’excuser.» Il y a vraiment plusieurs exemples qu’on pourrait prendre et malheureusement, des fois, on banalise ces choses-là. On ne les voit pas toujours. Mais ce sont des signes de violence conjugale. 

Karen N. Uwase : D’après toi, comment on peut accompagner une femme qui subit de la violence faite par une autre femme? 

Julie Lassonde : Je pense que c’est comme ce qu’on fait d’habitude, à la base. En l’écoutant. En ne la jugeant pas et aussi en étant sensible à son identité dans le sens de ne pas la forcer à dévoiler plus qu’elle ne souhaite dévoiler. Que ce soit à propos de son identité de genre, ou son orientation sexuelle. Donc, de suivre son propre rythme. On peut aussi manifester notre appui à la communauté 2ELGBTQIAA+, en mettant des signes, comme, par exemple, un drapeau arc-en-ciel qui favorise l’inclusion, des choses comme ça. Et puis aussi on peut se renseigner sur les ressources qui sont vraiment appropriées et bonnes. Les espaces sécuritaires qui existent pour les femmes qui sont dans des relations avec d’autres femmes. Donc, peut-être qu’on sait que tel ou tel service est meilleur à ce niveau. Donc, on peut référer à des endroits qui sont réellement sécuritaires pour ces femmes-là. Donc, il y a beaucoup une partie… de s’informer, de s’éduquer. 

Karen N. Uwase : Et de la soutenir. Une dernière question pour toi. Est-ce qu’on peut intervenir auprès d’une femme qui a commis des actes de violence envers sa partenaire? Là, c’est l’autre côté. 

Julie Lassonde : Oui, exactement. Je pense que bien sûr que oui. Parce que, donc, on peut aussi accompagner cette femme également en ne la jugeant pas. Je pense qu’on peut l’aider à comprendre ses propres comportements et pourquoi il y a de la violence là-dedans.  

Karen N. Uwase : Pourquoi c’est considéré comme de la violence? 

Julie Lassonde : Oui, c’est ça. C’est comme sensibiliser la personne à l’impact de son comportement, aux effets. Et puis, peut-être même travailler des techniques de communication non-violente avec la partenaire qui a malheureusement des réactions agressives de temps en temps. Alors, je pense que ça revient un petit peu à ce que je disais au début. Pour faire ce type d’intervention, il faut surmonter un peu sa peur de nommer les réalités différentes. C’est-à-dire qu’une femme peut avoir vécu de la violence, et une autre peut en avoir fait subir à une autre femme. Et devenir de plus en plus à l’aise avec ces deux possibilités. Et puis aussi, on peut s’intéresser à essayer de trouver des services pour les personnes qui ont des comportements agressifs ou violents. Et je reviens constamment là-dessus, j’ai dû le répéter plusieurs fois, mais s’éduquer sur toutes les questions d’orientation sexuelle et identité de genre, c’est absolument crucial. Et puis on ne peut que bénéficier de ça. Moi je continue à le faire à tous les jours et ça change très rapidement dans le domaine. Donc, il faut vraiment être à l’affût, et constamment se questionner sur ses propres connaissances. 

Karen N. Uwase : Merci beaucoup, Julie, pour ton expertise. 

Julie Lassonde : Ça me fait plaisir. 

Karen N. Uwase : Et merci beaucoup à vous tous de nous avoir écoutées et regardées. Merci notamment aux studios de Livestream Junkies où nous enregistrons ce balado. Julie a donné quelques ressources au travers du balado, et si vous souhaitez en avoir plus, vous pouvez consulter actionontarienne.ca. Et merci beaucoup encore de nous avoir écoutées. Je vous dis à la semaine prochaine. Au revoir.  

 


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