Transcription Balado Elles parlent – Épisode 1.03
Saison 1 — Épisode 1.03 : Elles parlent… de fausses féministes
Karen N. Uwase : Bonjour et bienvenue à Elles parlent, un balado pour apprendre, découvrir ou redécouvrir des thématiques liées à la violence basée sur le genre. Je suis votre animatrice Karen Uwase et aujourd’hui je suis accompagnée de Fae. Bonjour Fae.
Fae Johnstone : Bonjour.
Karen N. Uwase : Alors Fae est une activiste queer et trans et la directrice de Savoir pour agir. Est-ce que tu peux nous parler plus de Savoir pour agir?
FJ : Savoir pour agir, on est une organisation privée qui travaille avec le gouvernement et avec des services sociaux, et de santé mentale et santé de toutes sortes et on aide les organisations à améliorer l’inclusion des personnes queer et trans dans leur approche et leurs services.
Karen N. Uwase : Alors Fae, apparemment il y a un fait très intéressant à propos de toi. Et il s’agirait de furets. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est?
FJ : Oui! Alors j’ai deux furets en ce moment ils s’appellent Mocha et Latte. Ils sont tous petits, ils ont beaucoup d’énergie, ils étaient secourus… Ils étaient abandonnés quand ils étaient plus jeunes, et on les a apportés dans notre maison, et tous les jours quand je fais des ateliers ou du travail dans mon bureau, ils sont comme tout autour de moi d’habitude en mangeant mes pieds un petit peu.
Karen N. Uwase : OK. J’espère que c’est pas dangereux.
FJ : Ils sont gentils.
Karen N. Uwase : Ils t’aiment en mangeant tes pieds. OK. C’est très doux, je suis sûre. Malheureusement, Fae, récemment, il y a eu une polémique à propos de toi et à propos du chocolat. Est-ce que tu veux en parler?
FJ : Oui. Alors ça fait deux mois que j’étais incluse dans une édition spéciale du Hershey’s Canada et leur chocolat. Alors, ma face était sur un chocolat spécial et c’était comme super excitant. C’était moi, et il y avait aussi quatre autres femmes, jeunes, qui étaient incluses dans la campagne. Mais quand on allait comme live avec, il y avait de la résistance et il y avait des groupes tout autour du pays et du monde qui n’aimaient pas voir une femme trans incluse dans la campagne pour la journée internationale des femmes.
Karen N. Uwase : Ah, donc OK.
FJ : Alors pour les prochains jours, après que la campagne a commencé, il y avait des nouvelles dans Fox News, et dans Daily Wire avec des personnes comme… Jordan Peterson et Matt Walsh et toutes sortes d’autres groupes que je décrirais comme des transphobes, et ils ont publié des articles, des vidéos. Ils ont trouvé des photos de moi avant que je sois sortie du placard. Ils ont trouvé mon nom que j’avais avant que je sois sortie du placard. Il y avait toutes sortes de harcèlement en ligne, dans mes courriels et toutes sortes de choses. C’était dégoûtant.
Karen N. Uwase : Traumatisant aussi, j’imagine.
FJ : Oui. J’avais des security guards pendant cinq jours qui m’accompagnaient partout… quand on avait peur que quelqu’un en regardant Fox News pourrait peut-être découvrir où je vis, et venir à ma maison.
Karen N. Uwase : Je suis vraiment désolée d’avoir entendu ça… C’était bonne initiative de la part de Hershey’s Canada, mais c’est devenu une campagne nationale qui est devenue internationale, qui est devenue un problème international je trouve ça dommage. Mais j’espère au moins que tu aimes ton chocolat?
FJ : Bien oui! Et en même temps, comme c’était une bonne opportunité, comme des organisations féministes tout autour du Canada m’ont soutenue et ont publié des… des statements de support, et c’était beau de voir ça. Et ça dit à des transphobes que notre féminisme ne va pas engager avec la transphobie ou l’homophobie. Alors il y avait de bons développements causés par la campagne.
Karen N. Uwase : Le résultat n’était pas totalement négatif.
FJ : Exactement.
Karen N. Uwase : J’aime, j’aime. Alors Fae, aujourd’hui on va parler de faux féminisme, et j’ai une première question pour toi. D’après toi, en quoi le féminisme était-il exclusif au XXe siècle?
FJ : On imagine le commencement de nos mouvements féministes. C’était pas juste à une place. Tout autour du monde, il y avait des femmes. Ça fait des centaines d’années qu’elles s’organisent pour leurs droits, qu’elles essaient d’imaginer un monde où… il n’y aurait pas de violence basée sur le genre. Mais au XXe siècle, on a vu des mouvements qui ont commencé à grandir, mais en même temps, c’était les femmes avec le plus de ressources, avec des privilèges et du pouvoir. Alors on pourrait voir que la priorité, c’était sur les expériences des femmes blanches, des femmes non handicapées, hétérosexuelles, cisgenres, et avec déjà assez d’argent. Alors, si on imagine le contexte du féminisme, nos mouvements évoluent de ce commencement, de cette place. Alors, il y a beaucoup qu’on peut apprendre de ce temps-là, mais il y a aussi beaucoup qu’on peut changer et imaginer différemment que les féministes au XXe siècle.
Karen N. Uwase : Très clairement. Il y a plus ou moins l’exemple des suffragettes qui se disaient féministes. Dans les livres d’histoire, ils nous disent qu’elles étaient féministes et qu’elles représentaient toutes les femmes, mais elles ne représentaient que certaines. C’est ça?
FJ : Exactement. Il y avait comme des… Elles étaient racistes… Je dirais aussi elles étaient comme sexistes de plusieurs façons. Elles avaient leur idée de ce qu’est une « bonne femme » ou une « mauvaise femme ». Alors, on peut voir encore comme des idées de privilèges et de pouvoir, qu’on priorisait. Et il y avait toutes sortes de moments, où je dirais, elles n’étaient pas comme traîtres à leur mouvement, mais où elles s’engageaient pour les droits de certaines personnes, et non les droits de tout le monde.
Karen N. Uwase : Et pas tout le monde, très clairement. C’est pour ça que l’idée de faux féminisme c’est assez nouveau. Mais on peut le retracer dans l’histoire du féminisme parce que, comme tu l’as expliqué, c’est assez flagrant maintenant quand on regarde dans le passé. Est-ce que tu peux plus en parler?
FJ : Je dirais que maintenant, il y a deux parties. Sur une partie, on doit toujours donner de l’espace pour… les féministes qui ont commencé les mouvements qui nous ont rendus à un monde où l’égalité des femmes s’est avancée de grande façon. Mais en même temps, si on regarde en arrière, on peut voir des approches qui n’incluraient pas des femmes trans, par exemple. C’est facile de regarder en arrière et dire qu’elles pourraient être mieux ou qu’elles ont fait de mauvaises choses. Mais en même temps, c’est une opportunité d’apprendre pourquoi elles ont choisi se s’engager et de prioriser certaines communautés. Et on peut alors, nous, faire des choix différents, dans comment on approche notre féminisme.
Karen N. Uwase : Alors Fae, est-ce que tu pourrais nous donner des exemples justement de cette évolution du faux féminisme?
FJ : Alors, on imagine souvent qu’il y avait juste un mouvement féministe. Mais en réalité, il y a divers mouvements, et dans certains contextes, ils s’amélioraient et essayaient d’engager des femmes plus diverses, d’engager avec la majorité, les réalités de toutes les femmes. Mais dans d’autres contextes, il y avait des modèles et des approches qui engageaient plus avec, par exemple, le capitalisme. Il y avait des idées qu’on devrait… que la solution à l’oppression des femmes c’était donner aux femmes toutes les opportunités d’avoir une carrière et que c’était toujours à propos d’elles. Comme créer plus de produits ou plus d’argent. Mais il y a aussi des féministes socialistes qui disaient que c’est pas une solution de mettre les femmes dans des contextes capitalistes qui étaient basés sur le racisme et la misogynie. Alors, des exemples de mouvements divergents, ça inclut la création des « TERF ». On les appelle les féministes transphobiques. Et ces mouvements imaginent que des femmes trans sont… essaient d’infiltrer des mouvements féministes. Qu’on n’était pas vraiment des femmes, que nos expériences étaient radicalement différentes et on n’imagine jamais que les femmes trans ont des expériences comme identiques à celles des autres femmes. On a différentes expériences, mais en même temps, les expériences des femmes noires sont pas exactement les mêmes que celles des femmes blanches. Alors, notre féministe doit évoluer et réaliser qu’il n’y a pas juste une expérience qu’il y en a plusieurs, et notre féminisme doit donner l’espace à toutes les personnes impactées par les systèmes de violence sur le genre.
Karen N. Uwase : Sur le genre, très clairement. Et d’après toi, comment tu penses que ces mouvements trahissent les véritables valeurs du féminisme?
FJ : Le féministe a été fondé en imaginant un monde où on était tous saufs et sécuritaires. Où on pourrait aller à notre épicerie sans avoir peur de la violence. Où les réalités matérielles de nos communautés étaient différentes d’un contexte où les femmes ne pourraient pas se dégager de leur relation ou quitter leur maison parce qu’elles n’avaient pas accès à leur propre argent ou à leur propre autorité.
Karen N. Uwase : Oui.
FJ : Alors, l’imagination du féminisme, la meilleure chose, c’est imaginer un monde où notre genre, c’est pas connecté à l’égalité ou à la violence. Et quand ces groupes et ces faux féminismes engagent des idées transphobiques ou racistes, ou misogynes, ou tout ça, ça dit que certains types de femmes n’ont pas les mêmes droits à cette sécurité à cette libération que les autres. Et ça imagine souvent que des personnes différentes des femmes, de différentes sortes, sont elles-mêmes des traîtres à notre mouvement. Mais en réalité… on est ici pour attaquer des systèmes de violence, pas des individus.
Karen N. Uwase : C’est ça. Le problème devient interne et on se trahit entre nous-mêmes, les femmes. Alors, Fae, tu nous as parlé tantôt des valeurs féministes comment elles ont commencé du moins. Et aujourd’hui, on parle plus de féminisme intersectionnel. Pourrais-tu plus ou moins nous présenter comment le féminisme a évolué, des valeurs que tu nous as présentées à celles que le féminisme intersectionnel aujourd’hui représente?
FJ : Oui, il y avait de grandes batailles même dans nos mouvements féministes. Il y avait, comme je disais tantôt, il n’y avait pas juste un mouvement. Alors, quand il y avait le mouvement plus dominant qui était blanc, hétérosexuel et tout ça, il y avait aussi des collectifs et des groupes qui s’organisaient. Des femmes gay et queers et trans et racisées et autochtones. Il y avait des groupes qui ne se voyaient pas dans le féminisme plus mainstream.
Karen N. Uwase : Oui.
FJ : Alors, dans les différentes années, quand le féminisme a grandi, est devenu plus mainstream, t’as vu ces tensions, ces difficultés, ces batailles, dans les mouvements. Et ces mouvements, ces batailles, nous ont aidés à changer notre approche.
Karen N. Uwase : Clairement.
FJ : Ça a commencé avec juste le droit de voter. Mais on a réalisé qu’il y avait autre chose où, les femmes, on avait besoin d’elles. Alors on a écouté de plus en plus, les groupes de féministes noires et racisées, et impactées par le capacitisme et l’homophobie et tout ça. Ça nous a donné de nouvelles approches féministes. Et alors après ça, on a vu la troisième vague féministe. Et c’est à ce point-là qu’on a vraiment réalisé qu’on ne pouvait pas être des féministes réelles si c’était pas basé sur les expériences des personnes à ces intersections d’identités. Alors c’est une féministe scolaire, une académique, Kimberlé Crenshaw, qui a créé ce concept d’intersectionnalité.
Karen N. Uwase : Ah oui, c’est vrai.
FJ : Et elle a vu que dans son lieu de travail, il y avait des expériences particulières des femmes noires où c’était pas juste basé sur la misogynie. Et c’était pas juste le racisme. Il y avait une place où il y avait des hommes noirs, et des femmes blanches, mais il n’y avait pas de femmes noires. Et juste en pensant à l’oppression dans un contexte et l’autre, ça ne pouvait pas expliquer pourquoi ce lieu de travail n’engageait pas des femmes noires. Et c’est là, c’est cette approche qui nous a donné le mouvement féministe intersectionnel qui a réalisé que tu ne veux pas juste séparer tes identités, mais que tu es toutes les parties de ton identité toutes les expériences que tu amènes dans ta vie. Notre féminisme doit répondre à cette complexité.
Karen N. Uwase : Très clairement. C’est bien expliqué, je t’avouerais. Et d’après toi, quelles étaient les conséquences de ces faux féminismes dans les mouvements féministes?
FJ : Ça a donné des opportunités pour la droite extrême de causer plus de batailles dans nos groupes. Ça a aussi brisé des relations dans nos communautés. Quand on pense aux féministes transphobes, et les féministes homophobiques, elles ont créé des contextes ou des mouvements qui pourraient être plus forts ensemble si on était unis. Et pas toujours exactement sur la même page. On doit pas être lié complètement toujours. Il y a de l’espace pour la discussion et diverses expériences. Mais ça a causé des… ça a brisé les relations particulièrement à des moments où on avait besoin d’être ensemble. Dans les années 1970, et pour les dix années après ça, il y avait des tensions significatives dans nos mouvements. Quand on avait besoin d’un féminisme centré sur des expériences des femmes lesbiennes, gay, trans, etc., car on travaillait pour nos droits en même temps. Alors si on avait été capable d’unir le mouvement gay, avec le mouvement féministe, on aurait pu arriver à la place où on est maintenant beaucoup plus vite qu’on a été capable.
Karen N. Uwase : Fae, d’après toi, quels sont les liens, s’il y en a plusieurs évidemment, entre les groupes dits faux féministes et les groupes d’extrême droite?
FJ : Je dirais qu’ils sont deux côtés d’une même idéologie. On imagine… C’est souvent des groupes qui veulent retenir leur pouvoir. Au sujet de la droite extrême, c’est généralement des personnes qui imaginent une version du passé idéale et utopique. C’est l’idée que le monde était plus simple et meilleur avant que les personnes gay l’aient changé. Avant que des mouvements de femmes aient changé dans le contexte les normes du genre. Et les faux féminismes imaginent en même temps une idée assez similaire. C’est l’idée que les femmes blanches ou hétérosexuelles, elles ne veulent pas perdre leur pouvoir.
Karen N. Uwase : Leurs privilèges.
FJ : Exactement. C’est l’idée que… J’ai déjà travaillé aussi pour me rendre où je suis aujourd’hui. Je ne veux pas donner des choses à d’autres. Je ne vais pas rendre le chemin plus facile pour la prochaine personne. Je dirais aussi que les deux groupes sont organisés, basés… Comme on a dit avant, leur objectif, leur approche, ça critique pas des systèmes et des structures. C’est basé sur l’hostilité envers des personnes différentes d’eux. Des groupes de l’extrême droite imaginent l’hostilité et la… Ils n’aiment pas l’idée des personnes trans, par exemple.
Karen N. Uwase : Premièrement.
FJ : Et les fausses féministes imaginent qu’on fait partie du problème. Qu’on est des problèmes.
Karen N. Uwase : Qu’on ralentit le mouvement.
FJ : Exactement. Alors vraiment… Là où ça me fait peur, en ce moment, c’est qu’ils sont alliés ensemble de plus en plus. Alors si on pense à des féministes qui n’aiment pas les travailleuses du sexe, et les féministes qui n’aiment pas les personnes trans, elles s’engagent avec la droite extrême. On le voit tout autour du monde, mais en Grand-Bretagne, plus qu’ailleurs. On voit des contextes où les « féministes » utilisent un langage similaire à la droite extrême. Et on voit la droite extrême utilisant des modèles et des approches qui ont volé du faux féminisme. Et quand ça, ça arrive, ça donne un contexte où la droite extrême peut s’engager comme si elle voulait protéger les femmes et les jeunes. Et ça, c’est une approche qu’il est réellement plus difficile pour nous, de critiquer de la même façon quand c’est volé de notre approche, de notre idéologie. Et alors c’est ça, où on voit la collaboration qui me fait peur. Quand ça commence, ça crée un contexte où on peut reculer sur la droite. Pas juste pour des personnes trans, mais le mouvement pour la libération trans, ça critique les normes de genre. Et si la droite extrême veut travailler avec des faux féminismes elle peut renforcer ces normes de genre qui résultent dans l’oppression des femmes.
Karen N. Uwase : Fae, tu viens plus ou moins d’y répondre, mais je voudrais que tu expliques un peu plus. D’après toi, pourquoi s’attaquer à un groupe a des répercussions sur d’autres groupes?
FJ : Alors quand on imagine le contexte de l’oppression, on imagine d’habitude ou trop souvent dans différents coins. On imagine la misogynie ici, le racisme là-bas, l’homophobie dans un autre coin. Si on réalise que ces réalités sont interconnectées, que la majorité des systèmes d’oppression, comme on les expérimente ici, en Amérique du Nord, c’était basé sur la colonisation. Des personnes blanches de l’Europe, sont venues ici, ont emporté nos façons de penser, nos valeurs culturelles, et tout ça. Et c’était intersecté entre eux-mêmes. Alors on a vu… On peut réaliser alors que beaucoup de l’homophobie est basée sur la misogynie. On imagine et on n’aime pas des personnes gay, des hommes gay, parce qu’on les imagine comme féminins, et on n’aime pas la féminité.
Karen N. Uwase : Ah, fort intéressant.
FJ : Alors si on peut apprendre ou comprendre ça, ça nous aide à voir que l’oppression d’un groupe, c’est interdépendant avec l’oppression des autres. Et si des organisations de la droite extrême ou des faux féminismes sont capables d’enlever l’humanité d’un groupe. Ça crée un contexte où c’est plus facile de le faire au prochain. Et il y a des valeurs et des principes qui touchent surtout nos valeurs et nos approches comme groupe de justice sociale. Alors, par exemple, on peut penser à l’autonomie corporelle et on peut voir aux États-Unis des attaques sur l’accès aux services de santé pour des personnes trans et des attaques sur notre capacité, notre autonomie, à accéder aux services dont on avait besoin. Ça a commencé… ça a introduit un contexte où on pouvait attaquer les droits des femmes et des personnes qui peuvent avoir des enfants d’avoir accès à l’avortement.
Karen N. Uwase : C’est, comme tu l’as dit, interconnecté. Je trouve que le terme était bien choisi. Ça me permet notamment de faire le pont par rapport à la prochaine question. Est-ce que tu penses que les organismes qui ont de fausses valeurs féministes le font exprès?
FJ : Dans certains contextes. Qu’on imagine dans le 20e siècle, dans les 70 ans, par exemple, il y avait des tensions dans les mouvements féministes qui étaient comme « honnêtes », je dirais. C’étaient pas comme des bonnes batailles, mais c’étaient des personnes qui ne comprenaient pas comment leur expérience comme femme hétérosexuelle connectait avec l’expérience des femmes gay, par exemple.
Karen N. Uwase : Donc, tu parles de cette époque des années 70 où il y avait cette révolution sexuelle et plus ou moins cette période-là?
FJ : Et dans ces contextes, il y avait des tensions qui étaient pas comme… Oui, ils étaient honnêtes. On ne savait pas beaucoup à propos des personnes gay. On ne comprenait pas la réalité du racisme. Alors il y avait des modèles féministes qui voulaient faire de bonnes choses, mais qui ne voyaient pas d’autres expériences que la leur. Mais ça a changé dans des groupes féministes ou fausses féministes antitrans dans notre temps, maintenant. Alors maintenant, il y a des groupes on les appelle les « gender criticals ».
Karen N. Uwase : OK.
FJ : Ou des groupes « TERF » des « trans-exclusionary radical feminist ». Et maintenant, ils se sont distanciés des féministes transphobes du XXe siècle. Maintenant, eux, je les décrirais comme des vrais traîtres accomplis. Ils ont comme complètement abandonné les valeurs et principes féministes.
Karen N. Uwase : Tu parles de celles du XXe siècle?
FJ : Du siècle présent. Maintenant, ils n’ont pas de base, de théories féministes qui informe leur approche. Ils s’appellent des féministes pour gagner des points dans les médias et pour créer une imagination des divisions dans nos mouvements qu’on ne voit pas vraiment de la même façon qu’on voyait avant. Comme les organisations féministes, elles sont transinclusives, maintenant. Il y a des problèmes de temps en temps, mais les valeurs sont là. Elles réalisent que les personnes trans sont une partie importante de la libération féministe. Mais ces groupes de fausses féministes, ils s’engagent plus en plus avec la droite extrême. Et ils donnent à ces groupes, basés sur la haine, l’espace, comme on disait avant, de se décrire comme « protégeant des femmes et des jeunes ».
Karen N. Uwase : C’est ça… Justement, ça me permet de te poser une prochaine question. J’y pensais justement. D’après toi, comment on peut différencier un organisme dont l’analyse politique n’a pas vraiment changé depuis 30 ans ou depuis les années 70 ou même avant, d’un organisme qui est véritablement haineux?
FJ : Je pense que leur langage et leur approche. Tu peux regarder leur équipe. Si c’est toutes des femmes blanches, je vais avoir comme des hésitations. Si c’est toutes des personnes qui ont beaucoup d’argent, qui ont leur business suit qu’ils portent partout, je vais voir des suspicions. Alors, on peut voir comment ils se décrivent, comment ils se comportent. Et il y a toujours, comme on ne doit pas tous être comme sur la rue avec nos chansons et comme la révolution aujourd’hui. Il y a différentes approches et on ne peut donner de l’espace à ces approches. Mais maintenant, s’ils ne se décrivent pas comme féministes intersectionnelles s’ils ne parlent pas du contexte des femmes autochtones, s’ils ne donnent pas de l’espace à différentes expériences d’être femmes, je ne pense pas qu’ils sont avec nous dans la bataille, de la même façon.
Karen N. Uwase : D’après toi, Fae, comment on peut faire que nos prises de position et notre analyse féministe ne trahissent pas les vraies valeurs féministes?
FJ : Je pense, premièrement, qu’on doit toujours penser à nos valeurs. On doit avoir une approche fondée sur ces valeurs. Et ça doit pas être juste des mots sur notre site web. On doit vivre nos valeurs dans tout ce qu’on fait, car c’est dans nos valeurs qu’on peut trouver une approche qui engage la diversité de nos communautés. Et qui apporte des solutions qui vont servir des femmes de toutes sortes. Je pense aussi à propos de qui est dans la chambre avec nous. A-t-on des femmes noires, racisées, autochtones, des femmes gay, queer, trans? Y a-t-il des femmes des petites villes et des femmes des grandes villes? Alors on peut penser : on parle avec qui? Mais on peut aussi approcher notre travail avec humilité. On n’a pas besoin d’avoir toutes les solutions dès le moment où on parle avec quelqu’un.
Karen N. Uwase : Garder l’esprit ouvert.
FJ : Exactement. On peut être prêt à entendre si on fait du mal, si on cause des batailles ou on approche d’une façon qui est peut-être pas parfaite. Quand on fait des erreurs, on est souvent sur la défensive. Et on se retranche dans nos propres privilèges. On s’imagine qu’on ne peut pas faire partie du problème. On est des bonnes personnes. Quand on fait des erreurs, ça veut pas dire qu’on n’est pas une bonne personne. On fait le mieux qu’on peut la majorité du temps. Mais on doit donner l’espace aux autres expériences. Et comme femme blanche, comme femme avec un contexte économique assez stable, j’ai beaucoup de privilèges dans mon travail. Et je vais faire des erreurs sans le réaliser, car je ne connais pas toutes les expériences.
Karen N. Uwase : C’est sûr.
FJ : Alors, quand quelqu’un me dit que tu as fait quelque chose problématique ou raciste… ou capitaliste, ou quelque chose comme ça, c’est à moi, comme directrice de mon organisation d’écouter réellement ce qu’elle me dit, et pas supposer que c’est une attaque quand il veut seulement avoir l’espace pour être elles-mêmes, et l’espace de nous aider comme mouvement, à améliorer notre approche. C’est pas une attaque, c’est une opportunité.
Karen N. Uwase : À 100 %. C’est bien décrit. Je suis un peu éblouie quand tu parles donc j’ai pas envie de t’arrêter de parler, mais il faut qu’on passe à la prochaine question. Comment on pourrait s’attendre à ce que certains groupes qui ont été historiquement exclus comme tu l’as mentionné plus tôt participeraient, si les groupes féministes les invitent?
FJ : Je dirais que ça commence en changeant nos priorités un petit peu. Si on veut inviter des personnes des communautés marginalisées, dans nos organisations, on doit leur montrer qu’on va s’organiser pour leurs priorités aussi. Par exemple, je connais pas beaucoup de femmes trans dans les organisations féministes nationales. Il y en a comme trois ou cinq, peut-être. On est un petit groupe.
Karen N. Uwase : D’accord.
FJ : Et on rencontre des barrières dans ces espaces. C’est garanti, et ça fait du sens un petit peu. On est « nouveaux » à être invités dans ces espaces. Alors on peut commencer par s’assurer que nos organisations quand on engage avec le gouvernement ou dans les nouvelles qu’on pense aux besoins des personnes, même si elles ne sont pas déjà dans la chambre avec nous. On peut aussi s’assurer qu’on… qu’on invite des membres des communautés traditionnellement exclues dans nos espaces. C’est pas assez d’avoir juste un ou deux. On doit imaginer ou les inviter en groupe. Et on doit aussi s’assurer qu’ils ont des opportunités. Je vais joindre une organisation beaucoup plus vite si je vois des personnes gay et trans dans ces espaces.
Karen N. Uwase : C’est sûr.
FJ : Alors, on a besoin de changer qui on invite, et on doit s’assurer qu’on soutient même dans les mauvais moments ou expériences les personnes différentes de nous. Par exemple, quand j’étais attaquée par la droite extrême et ces faux féminismes, pour mon engagement avec Hershey’s. Et quand… d’autres exemples, quand j’étais attaquée pour parler à des événements pour des femmes, ou participer dans les médias comme une féministe, quand ils m’ont attaquée pour ça, les organisations féministes m’ont soutenue. Elles m’ont envoyé des courriels pour s’assurer que j’étais correcte, mais elles ont aussi parlé au public et elles ont mis des mots sur leurs médias sociaux en solidarité avec moi. Il y avait une campagne en réaction à mes expériences, qui disait qu’il n’y a pas d’égalité pour les femmes si ça n’inclut pas les femmes trans. Et ça, ça montre à des personnes trans qui… De temps en temps, on va imaginer qu’il y a plus d’hostilité dans des espaces féministes, qu’on va actuellement expérimenter, parce qu’on connaît l’histoire. On sait qu’on n’était pas toujours voulues dans ces espaces. Alors, quand les organisations féministes sont en solidarité avec nous, et nos communautés, quand des personnes trans voient qu’on va être soutenues par ces organisations, on va être plus… Il y a de meilleures chances qu’on va vouloir s’engager avec ces organisations. Et on a besoin des féministes et les féministes ont besoin des mouvements trans.
Karen N. Uwase : Oui, clairement, parce que les deux vont ensemble. Mais justement, ça me fait penser, il faut qu’elles se sentent à l’aise il faut qu’elles se sentent invitées, comme quand on est invitée dans une maison, il faut qu’elles se sentent comme si elles étaient chez elles. C’est tout à fait logique, et c’est très compréhensible. Justement, ça me permet… Comment tu penses qu’on peut différencier quand on te pose une question, si c’est une question légitime vraiment pour apprendre, ou si derrière il y a pas mal de mauvaises intentions?
FJ : J’aime bien cette question. Il y a beaucoup de transphobes qui imaginent que les personnes trans, on ne veut pas la discussion, on ne veut pas de dialogue, on veut juste, comme : C’est notre chemin, et c’est notre approche et point final. J’adore les conversations au sujet de l’inclusion des personnes trans et il y a des moments où… on ne va pas toujours être sur la même page. Et j’imagine, généralement, si tu as un twitter account qui dit : Je déteste les personnes trans, les femmes trans sont vraiment des hommes, je ne vais pas discuter avec toi. Mais si tu as des questions, des hésitations, si tu ne comprends pas ou tu ne connais pas, j’adore ces conversations. Parce que ça nous donne de l’espace pour apprendre des expériences différentes des nôtres. Encore, j’ai pas des expériences identiques à celles des femmes cisgenres. Et j’imagine que chaque femme a sa propre expérience comme femme qui va être différente de la prochaine femme qu’on rencontre. Alors, les discussions sur comment on expérimente notre genre et comment ces systèmes nous impactent, ça nous aide, comme féministe, à mieux comprendre les réalités de la violence systémique. Alors, j’invite toujours à la discussion, mais c’est pas la même que quelqu’un qui essaie de causer des problèmes. Et tu peux d’habitude sentir des intentions bonnes ou mauvaises, assez vite dans une conversation.
Karen N. Uwase : Oui. C’est sûr que j’ai déjà entendu ça souvent. C’est quelque chose que… C’est un sentiment que tu ressens assez facilement. Alors Fae, on arrive bientôt à la fin, mais je voudrais que tu nous donnes tu me donnes, tu donnes des conseils aux personnes qui nous écoutent aujourd’hui, ou qui nous regardent. Comment elles peuvent tout simplement entrer dans la discussion? Qu’est-ce qu’elles peuvent faire au quotidien dans leur vie pour améliorer ça?
FJ : Je dis pour commencer, c’est la réflexion interne. On vit dans un monde où les normes de genre le sexisme, il y est tout autour de nous, et qu’on apprend quand on est jeune. Et si on peut commencer par… critiquer comment ces normes et valeurs, et systèmes nous ont impactés nous-mêmes, ça nous donne l’espace pour comprendre comment des personnes trans et gay expérimentent ces normes et ces valeurs systémiques elles-mêmes. Alors, ça commence par réaliser que les normes de genre nous font tous mal. C’est mauvais pour tout le monde, même pour des gars, même pour des gars hétérosexuels. Et si on peut réaliser que c’est pas dans notre propre intérêt, ça nous donne l’opportunité de réaliser que les normes de genre et d’hétérosexualité et tout ça, ça nous limite nous-mêmes. Ça fait un espace où c’est plus difficile pour nous d’être notre meilleure personne.
Karen N. Uwase : D’évoluer comme société.
FJ : Exactement. Deuxièmement, je dirais, va sur YouTube. Mets les mots comme « gay 101 » et vois ce que tu apprends et ce que tu écoutes. Il y a aussi des livres, des activistes sur les médias sociaux que tu peux regarder et qui peuvent t’aider à apprendre un petit peu. Et juste engager avec la théorie féministe et transféministe dans ta vie, dans ce que tu regardes dans les médias sociaux. Ça te donne un contexte où tu peux mieux comprendre, apprendre et voir les connexions entre nos expériences différentes, mais interreliées.
Karen N. Uwase : Totalement. Donc réflexion interne et éducation. Ça, c’est les mots-clés pour apprendre dans notre vie personnelle. Et d’un point de vue communautaire, qu’est-ce que, en tant que communauté différentes communautés, on peut apprendre? Comment on peut apprendre? Comment on peut aider le mouvement?
FJ : Je dirais, ça commence en priorisant des organisations qui travaillent avec des communautés à ces intersections d’oppression. On devrait soutenir toutes les organisations féministes, généralement, c’est une bonne idée. On va faire des dons à nos organisations féministes. Mais en particulier aider des collectifs de femmes noires et autochtones. De soutenir ces organisations, car on a besoin de leur perspective. Et c’est pas assez de juste avoir des interventions pour toutes les femmes. On a besoin d’interventions spécifiques à des identités expériences uniques. Parce qu’on sait que… comme des personnes trans, on est plus saufs et sécuritaires quand on a accès à des services par et pour des personnes trans. Alors dans nos communautés, on peut soutenir ces organisations. Car, elles, si elles avaient plus de capacités, elles sont mieux positionnées pour soutenir celles qui sont à des intersections de plusieurs formes d’oppression.
Karen N. Uwase : Clairement. Et donc, dernièrement, c’est la dernière question que j’aurai pour toi. Notre société et les systèmes, comment tu penses que la société doit évoluer? Comment l’oppression systémique peut diminuer, voire tout simplement s’arrêter?
FJ : J’ai deux… trois choses. Premièrement, on doit imaginer le monde dans lequel on veut vivre. C’est pas assez de juste dire que c’est mauvais maintenant. Et on doit changer A, B et C. On doit imaginer quelle sorte de monde dans lequel on voudrait vivre. Et ça, c’est difficile. Parce qu’on vit dans un monde comme… On a tous grandi dans un contexte misogyne et capitaliste. Et racisé et tout ça. Alors, c’est difficile d’imaginer un monde différent. Mais si on veut s’organiser, si on veut apporter tout le monde avec nous, on doit avoir une idée d’où on travaille, où on veut arriver. Deuxièmement, on doit réaliser que la révolution, c’est pas pour demain. J’aimerais bien, si on était prêt, mais on doit réaliser qu’on doit créer un contexte où la libération est possible. Et ça, ça veut dire soutenir nos organisations féministes. Ça veut dire engager pour les objectifs vite faits à court, moyen et long terme. Et on doit réaliser que les personnes qui approchent le travail d’une façon différente de la nôtre si on ne les pense pas comme assez radicales sont pas toujours nos ennemies. Et c’est un choix. J’engage avec le gouvernement fédéral tout le temps. On pourrait dire qu’engager avec le gouvernement fédéral, ça renforce des systèmes d’oppression. Et c’est pas incorrect, c’est vrai. Mais en même temps, si on engage on peut avoir des victoires, et on peut aider à s’attaquer des réalités d’iniquité qui créent des contextes de violence vraie maintenant dans nos communautés. Et c’est facile de dire comme : je veux quitter la table, je veux comme… Mais en même temps, il y a des personnes qui n’ont pas de maison. Il y a des personnes qui se font harceler chaque jour, des personnes traumatisées. Et on a besoin d’engager avec nos gouvernements pour donner le soutien, et le support dont elles ont besoin. Alors on peut faire ces deux choses. On peut imaginer un meilleur monde. On peut engager pour créer le contexte où ça c’est possible. Et troisièmement, on peut prendre soin de nous-mêmes. Il y a beaucoup de violence dans ce monde et c’est difficile d’être activiste et avocat. Il y a un prix, et c’est difficile de continuer de faire ce travail quand… tu sais que la libération n’est pas pour demain. On doit prendre des pauses, on doit se soutenir, on doit être capable d’avoir du fun dans ce travail.
Karen N. Uwase : C’est pas faux.
FJ : Trop de temps dans mon travail maintenant, c’est beaucoup de doom and gloom, le monde est horrible. Et là seulement, la haine grandit. Alors c’est facile d’être dans une place où… tu penses pas que la libération va jamais arriver. Et on doit rester en communauté parce que c’est toujours une communauté qui va être là pour nous et avec nous.
Karen N. Uwase : T’as totalement raison. À court terme, c’est vraiment travailler sur soi donc c’est un peu évoluer personnellement. Ensuite, à moyen terme ce serait plus dans les communautés. Tout ça va impacter sur le long terme et sur nos systèmes et sur notre société. Merci beaucoup Fae. Merci pour la discussion. Merci aux studios Livestream Junkies dans lesquels on enregistre. C’était un plaisir de partager, d’apprendre, de découvrir. J’ai beaucoup découvert avec Fae Jonhstone aujourd’hui. Et je vous invite tout simplement à consulter nos ressources sur actionontarienne.ca. Et je vous dis à la prochaine.
Ressources
- Savoir pour agir (Wisdom2Action) : https://www.wisdom2action.org/
- Momentum Canada : https://www.momentumcanada.net/
- Campagne Her for She 2023 de Hershey’s Canada : https://www.facebook.com/hersheyscanada/videos/1009600573348742/
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